EDUCATEUR ET FORMATEUR VIRTUELS

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Articles de journaux


Détails sur la prochaine rentrée scolaire

Fixée au 13 septembre 2008 : Détails sur la prochaine rentrée scolaire

par M. Kadiri

Dans le terroir, un adage très connu évoque «la pluie de l'été», ceci pour toute nouvelle insensée, les rumeurs...

C'est le cas du report fictif de la rentrée scolaire 2008/2009, pour différentes considérations, véhiculé par des rumeurs instantes.

Renseignement pris, la rentrée scolaire aura lieu le Samedi 13 septembre 2008 au matin pour tous les élèves des trois zones du pays confirmant ainsi l'article 04 de l'arrêté ministériel du 07 octobre 2007 publié dans le Bulletin Officiel du ministère de l'Education nationale. En outre, ce sont les fonctionnaires de l'administration qui rejoindront leurs postes de travail les premiers et ce, le lundi 01 septembre 2008 au matin, suivis des enseignants, le samedi 06 septembre 2008, tel que mentionné dans l'arrêté en question. Et c'est en fonction de ce calendrier qu'ont été programmés les séminaires de formation des inspecteurs et des enseignants, tenus en juillet dernier, en perspective des nouvelles mesures qui ont touché les programmes scolaires, les guides d'enseignement, les manuels scolaires et autres supports pédagogiques. En parallèle, l'ONPS, Office national des publications scolaires, a, à travers ses structures locales, élaboré son programme de diffusion qui s'est déroulé le mois passé et qui continue jusqu'à ce mois d'août, toujours dans le même cadre. D'autre part, certaines actions d'ordre social, telle la prime de scolarité 2.000 DA, qui en est à sa huitième année, a vu la constitution des dossiers par les familles concernées. Et ceci se déroule toujours en fonction d'un échéancier bien déterminé et doit être appliqué par les personnels concernés, en l'occurrence les chefs d'établissements, les inspecteurs du primaire et ce, outre les APC et les commissions de daïra. C'est dire toute la programmation qui entoure les différentes actions relevant de la rentrée scolaire. Au-delà des aspects logistiques matériels et financiers dégagés par les pouvoirs publics pour cette rentrée 2008/2009, nous relevons, par ailleurs, que le ministère a lancé plusieurs opérations en perspective de cette échéance, à savoir la future rentrée scolaire, touchant les leviers de l'action éducative, à savoir les programmes, les guides, les manuels scolaires qui ont tous été touchés par une évaluation perçue comme le bilan d'une étape et ce, cinq années après le lancement de la réforme du système éducatif, indique notre source. Il faut souligner, dans ce cadre, que la réforme est un processus permanent. Ainsi, il a été donc procédé à un allègement des programmes d'enseignement dans les différents cycles d'enseignement, comme il a été procédé à un allègement du volume horaire. Les enseignants ont, par ailleurs, été destinataires des programmes d'enseignement des différents cycles d'enseignement. En outre, tout un nouveau dispositif de formation continue a être mis en place pour renforcer la formation des enseignants et des inspecteurs. Ces derniers ont déjà assisté, en juillet, à des séminaires qui se sont déroulés dans plusieurs régions du pays, a-t-on relevé. Pour ce qui est de l'allègement des programmes, celui-ci a officiellement concerné neuf disciplines (mathématiques, sciences physiques, sciences de la nature et de la vie, le français, l'anglais, l'espagnol, l'allemand, la philosophie et la géographie. Quant aux programmes, le total officiel est de 35 programmes: 9 pour la première année secondaire, 14 pour la 2ème année secondaire, 12 en troisième année secondaire. Quant au cycle moyen, celui-ci possède quelques particularités que les concernés se doivent gérer et c'est l'arrivée, en ce palier, des nouveaux collégiens venant de la 5ème année primaire avec ceux de la 6ème année fondamentale pour suivre un enseignement en 1èyre AM.

A cet effet, le M.E.N. a envoyé une directive pour faciliter l'adaptation de ces cohortes d'élèves aux nouvelles méthodes pédagogiques. D'autres données supplémentaires figurent dans cette directive destinée aux directeurs d'éducation, inspecteurs de l'éducation et chefs d'établissements qui veilleront dès le 01 septembre prochain à son application.



Source Quotidien d'oran (edition 19/08/2008)

19/08/2008
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« L’effet des réformes ne peut être apprécié qu’en termes de génération »

« L'effet des réformes ne peut être apprécié qu'en termes de génération »

Pr Aïssa Kadri (Sociologue et directeur de l’Institut Maghreb Europe -Université Paris VIII)

« L’effet des réformes ne peut être apprécié qu’en termes de génération »

Modes de recrutement et de formation des enseignants, ratio d’encadrement, conditions de scolarisation, contenu des programmes liftés à répétition, pédagogies et arabisation alibi. Le professeur Aïssa Kadri passe sous son « scanner » les cinq années de réformes du système éducatif, commente les résultats du bac et corrige les statistiques. Il explique dans cet entretien que l’augmentation du taux de bacheliers n’est pas du tout un indicateur fiable de la bonne santé d’un système d’enseignement et que l’effet des réformes ne peut être apprécié qu’en termes de génération. Le professeur Kadri, directeur de l’Institut Maghreb Europe (université de Paris VIII), livre sans retenue son analyse pertinente de l’école algérienne en se référant à l’histoire. Sans détour, il relève les erreurs du passé comme celles du présent tout en parlant d’un processus de « délitement de l’école » auquel a grandement participé l’arabisation à la va-vite prônée et exécutée dans les années 1970. Il met l’accent sur les dysfonctionnements pédagogiques importants qui ont des effets néfastes sur le niveau des élèves. Aïssa Kadri enseigne à l’Institut universitaire de formation des maîtres du Val-de-Loire et a publié de nombreux articles et ouvrages en sociologie de l’éducation et de l’immigration. Parmi ses ouvrages : Immigrés, l’effet 68 (in une encyclopédie de la contestation, Paris, Syllepses), Nouvelles circulations migratoires (Madrid, Afkar), Ecole et valeurs sociales (Rabat, Meca-Maroc), Mémoires algériennes (paris, Syllepses). Il est actuellement coresponsable d’un programme européen de recherche sur le transnationalisme et les migrations « Transnet » en consortium de huit pays.



- Le ministre de l’Education considère le taux de réussite au baccalauréat, qualifié cette année d’historique, comme le fruit des cinq années de réforme du système éducatif. Qu’en pensez-vous ?
- Les responsables politiques me font penser à la réponse que fait Humty Dumpty à Alice dans Alice au pays des merveilles (Oscar Lewis), qui le questionne sur le sens des mots qu’il utilise. Je cite, in extenso : « Lorsque moi j’emploie un mot, déclarait l’horrible bonhomme en forme d’œuf, il signifie exactement ce qu’il me plaît qu’il signifie... Ni plus ni moins. » « La question, répliqua Alice, est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu’ils veulent dire. » « La question, riposta Humpty Dumpty, est de savoir qui sera le maître, un point c’est tout. » Dans cet ordre d’idées, la rhétorique statistique des « réalisations », construction d’établissements, construction de cités universitaires, taux de croissance des inscrits, taux du bac et taux de féminisation de l’enseignement compris, a joué un rôle considérable dans l’occultation du fonctionnement interne des institutions d’enseignement et des questions de leurs finalités. L’efficacité de la politique scolaire n’est mesurée qu’à l’aune de la rapidité de la progression quantitative des flux d’élèves dans les différents ordres d’enseignement et, plus encore, dans le supérieur. L’irréversibilité des changements qualitatifs qui affectent ainsi l’institution apparaît pour le politique avant tout inscrite dans le rythme même d’accroissement des effectifs et l’accroissement des taux. Les dysfonctionnements observés ne sont, le plus souvent, perçus que comme le produit du gigantisme et du dynamisme de l’institution qu’une « bonne » gestion et une application adéquate des textes dépasseraient. Pour en revenir à la vérité historique, on n’est pas aujourd’hui sur les taux d’admis les plus hauts, ceux-ci ont été en 1968/69 de 61% et de 57% en 1970/71. Ce n’est donc pas la première fois que l’on a de tels taux.
- Quelle est donc la réalité du nouveau système éducatif ?
- La réalité est loin d’être aussi rose et, pour le moins, contrastée. D’abord une réforme aussi efficace soit-elle et particulièrement dans le domaine de l’éducation ne donne jamais, sinon à la marge, ses effets en un laps de temps aussi court. Les systèmes d’enseignement se caractérisent par une grande inertie aux injonctions qui leur adviennent de l’extérieur et l’effet des réformes ne peut être apprécié qu’en termes de génération. Et dans le même temps tout peut changer dans le système économique et social. Système éducatif et système économique et social ne vont ni dans le même sens ni à la même vitesse. Ensuite, l’augmentation ou la baisse du taux de bacheliers n’est pas du tout un indicateur fiable de la bonne santé d’un système d’enseignement. A titre d’exemple, le système français qui voit ses taux de réussite au bac avoisiner les 75% et pour une classe d’âge un peu plus de 60% d’admis est un système déclaré par tous les partenaires de l’action éducative, enseignants en premier lieu, parents d’élèves, syndicats, autorités politiques, chercheurs, en crise d’adaptation. Le taux de bacheliers quel qu’il soit occulte ainsi des processus et des mécanismes complexes qu’il faut mettre à jour pour comprendre les logiques qui se développent aussi bien dans le système éducatif que les rapports qui le lient au système économique et social.
- De quels processus et mécanismes parlez-vous ?
- On sait par exemple que dans le même temps que les taux de réussite augmentent au bac, le processus de sélection translate, il glisse du bac vers les premières années de fac. Ainsi en France, l’augmentation du taux de bacheliers a vu la sélection devenir drastique au niveau des premiers cycles où un étudiant sur deux était en échec. En Algérie, mes propres calculs montrent qu’à peine un étudiant sur 12 termine sa licence dans les temps impartis. Ce sont chaque année, sur la dernière décennie, plus de 12 000 étudiants qui ne se réinscrivent pas. Sur un échantillon de 2257 nouveaux inscrits, 914 soit 40,5% ont abandonné sans terminer la première année. Au terme de cette première année, ils sont à peine 13% soit 301 à achever leurs études avec succès et 1042 à redoubler au moins une fois, soit 46,16. Le système d’enseignement algérien manifeste ainsi un rejet de plus en plus massif des élèves scolarisés dans les différents ordres d’enseignement. Dans la dernière décennie, quelque 20% des entrants au cycle primaire sur une cohorte de 1000 élèves inscrits en première année élémentaire abandonnaient l’école. On observe même depuis quelques années un mouvement net de déscolarisation. Sur la base d’une cohorte de 1000 inscrits en première année élémentaire, ce sont seulement 20,9% des élèves qui arrivent en terminale et seulement 3,1% d’entre eux n’ont pas redoublé au moins une fois dans leur cursus (les taux de redoublement oscillaient dans les dernières années entre 28 et 39% des cohortes selon les ordres d’enseignement). C’est de manière générale moins de 30% d’une classe d’âge qui accède au bac. Il y a ainsi un peu plus de 500 000 élèves qui sortent du système scolaire sans certification.
- Les résultats du bac reflètent-ils le niveau réel des élèves ? Les moyennes obtenues correspondent-elles au savoir acquis par les élèves ? Et les recalés sont-ils réellement moins compétents que ceux qui ont réussi cet examen de passage ?
- La question du niveau est toujours relative. On ne peut l’apprécier qu’à partir d’un étalon de mesure fiable et une combinatoire de nombreuses variables qualitatives comparées dans le temps. Si l’on se fie aux seules conditions internes à l’institution qui peuvent prévaloir dans le déroulement d’un procès pédagogique relativement efficient, on ne peut que constater que celles-ci sont loin de garantir un niveau d’acquisition de savoir et de savoir-faire correct. Qu’il s’agisse du ratio d’encadrement (un enseignant pour 40 élèves en moyenne), des conditions de scolarisation en milieu rural, du type d’encadrement (modes de recrutement et de formation des enseignants sans régulation et contrôle rigoureux sur les dernières décennies ; conditions économiques et sociales difficiles, à la limite du tolérable, d’exercice du métier d’enseignant ) du contenu des programmes « lifté », on ne sait sur quelle base, présupposés et études, des pédagogies, mises en œuvre à travers des injonctions contradictoires d’année en année, encore largement traditionnelles, faute d’un temps pédagogique libéré pour le recyclage d’enseignants formés dans les décennies d’arabisation alibi, tout concourt à manifester des dysfonctionnements pédagogiques importants qui ne sont pas sans effet sur le niveau. On ne peut également occulter le système de notation qui est toujours, quel qu’en soit le mode, numérique, alphabétique, ou même contradictoire, et quels que soient les modes de régulation décidés par le haut, inscrits dans une logique autoreproductrice, de continuité des pré-requis qui ont été au fondement de la formation des enseignants eux-mêmes dans les décennies d’arabisation à la hussarde.
- Le bac est-il de ce fait en deçà de la norme scolaire ?
- Le bac, comme examen, sanctionne de fait une distance à la norme scolaire comme expression de la norme légitime et celle-ci en Algérie reste fondée sur les fondamentaux d’une vision unitariste, moniste, exclusiviste du monde et des autres ; la réussite dans certaines options à cet égard n’est pas le gage d’une pensée autonome critique. Aussi bien la notation elle-même reste relative et la sélection se joue au dixième de point près dans la tranche moyenne qui est la plus large. C’est dire qu’un certain nombre de recalés ne déméritent pas au regard des pré-requis arrêtés, mais de la notation qui est toujours « subjective », notamment dans les matières à forte légitimité culturelle. Le niveau s’apprécie également en fonction de déterminants externes à l’institution. Il y a d’abord le fait que la société s’est inscrite, durant les dernières décennies, globalement, dans une spirale de la régression culturelle : peu de livres de références scolaires et universitaires disponibles, des pratiques culturelles limitées, peu d’institutions culturelles d’accompagnement. Aussi, si l’on considère les résultats des processus de scolarisation d’un point de vue qualitatif, on peut en effet conclure très vite à l’effet barrière du bac plus qu’acquisition d’un niveau. Le bac est ainsi plus barrière que niveau, plus sélection qu’exigence d’un certain nombre de compétences. Dans la double fonction que le bac, comme tout examen, remplit, à savoir une fonction technique et une fonction sociale, c’est souvent la fonction technique – d’ailleurs mal assumée – qui occupe le devant de la scène, notamment au moment des résultats. La fonction sociale est, quant à elle, fortement occultée. D’ailleurs, l’obtention du bac n’est plus, depuis quelques années, ipso facto le gage d’une inscription dans la filière de son choix. La réglementation qui, peu à peu, s’est mise en place a tendu à verrouiller dans l’opacité et l’irrationnel l’inscription dans certaines filières « royales » courues par les enfants des classes moyennes et supérieures. Les alternatives au bac ou à une faible moyenne dans celui-ci ne sont pas socialement acceptées. Les filières courtes ne sont pas du tout courues ou sont fréquentées par pis-aller. Les étudiants préférant, dans beaucoup de cas, refaire le bac pour avoir une meilleure moyenne ou même attendre des opportunités de travail ou d’émigration.
- Faudrait-il supprimer le bac ?
- Le bac reste un symbole fort et un rite de passage quasi obligé pour beaucoup de jeunes. Nombre de jeunes et leurs familles vivent l’échec comme un stigmate fort. Il présente également la caractéristique d’une égalité formelle des impétrants à l’échelle nationale, même si, à travers la présentation des résultats qui est publicisée, est introduite une perspective régionalisée différenciée. Il faut sans doute se réjouir de l’engouement qu’il suscite auprès des élèves et des familles, moyennes ou supérieures, voire populaires. Il manifeste que les savoirs, la connaissance, les sciences restent survalorisés par la société algérienne en dépit des ravages de l’argent facile, du développement de pratiques et de conduites irrationnelles et superstitieuses, de la corruption endémique. Cependant, les voies d’accès à l’enseignement supérieur peuvent être variées. Dans certains pays et chez nous également pour certaines filières, le bac donne une certification qui n’est pas synonyme d’inscription automatique dans l’enseignement supérieur. En France, le système de notation est pondéré par la prise en compte des notes de l’année dans le cas d’une moyenne située entre 8 et 10 et la possibilité de refaire des matières où l’on n’a pas obtenu une note moyenne. Les arguments en faveur du maintien ou du remplacement par d’autres formes restent partagés. Nous avons besoin, pour repenser l’architecture globale du système d’enseignement et la place des classes charnières, de nombreuses études, de monographies socio-ethnographiques d’établissements, d’analyse des représentations et des pratiques, aussi bien celles enseignantes que celles des familles et des élèves. Or, aucune étude ou recherche publique n’a été développée sur la question du bac ni sur celle de l’échec scolaire, encore moins sur l’effet établissement depuis au moins trente ans. Il n’y a qu’un centre de recherche sur les questions pédagogiques, alors qu’il en faudrait au moins un par grande région et par sous-champ de qualité. A cet égard, il y a un non-sens absolu dans la présentation régionalisée des réussites.
- Pouvez-vous être plus clair...
- On ne comprend pas que les résultats changent d’année en année assez fortement selon les mêmes wilayas sous le prétexte que certaines auraient fait des efforts sous l’effet d’injonctions ministérielles salutaires. Un climat d’établissement ainsi que des collectifs de travail ne se transforment pas du jour au lendemain d’un coup de baguette magique, encore moins à coups de directives autoritaires. Mais par des moyens et des conditions qui nécessitent du temps et de l’accompagnement. De surcroît, on oublie que les élèves ont une histoire longue qui ne se résume pas à l’encadrement et aux efforts sur les deux dernières années. Je ne comprends pas sinon à faire une enquête ou à abdiquer à des processus complètement irrationnels, qu’un établissement en milieu rural puisse scorer à 95% de réussite, alors que des établissements urbains plus encadrés et ayant construit une tradition pédagogique restent à la peine. On ne comprend pas également, et sans la stigmatiser, que la wilaya de Tizi Ouzou soit en tête du palmarès du bac, lors même que c’est la wilaya dont les élèves arrivant au bac cette année sont ceux-là mêmes qui ont été touchés voilà quelques années par la longue grève du cartable et qui ont été sans doute dans les dernières années les plus perturbés, pour des raisons connues, dans leur suivi d’études. Sinon à penser qu’il s’agit d’élèves qui ont bénéficié de soutien, hors institution, de la part de familles dotées en capital, on ne peut que croire au miracle ou, au mieux, à des performances d’élèves particulièrement doués – or le « don » n’existe pas, n’existent que des aptitudes socialement valorisées. Inversement, comment comprendre que Djelfa, qui a été violemment stigmatisée, se soit rattrapée aussi rapidement avec les mêmes maîtres et des élèves qui avaient suivi leur cursus antérieur dans les conditions qui ont prévalu au moins jusqu’à l’année dernière ? Il faut évaluer et faire des études sérieuses pour comprendre ces logiques pour le moins irrationnelles. On est encore loin d’un système hiérarchisé et établi entre grandes et petites écoles, entre par exemple ce qui prévaut en France : grands lycées du centre de Paris et lycées de banlieue et de province.
- Des enfants sortent de l’école après 9 ans d’études sans pouvoir lire ni écrire. Des analphabètes ! Comment expliquez-vous cela ?
- Beaucoup de variables expliquent la faiblesse de la formation et le fait qu’une grande majorité des élèves ne maîtrisent pas les pré-requis minimaux et arrivent au supérieur quasi-illettrés, sachant à peine lire et écrire, sans formation intellectuelle. A cet égard, beaucoup de pays européens et nord-américains déclassent de plus en plus les étudiants algériens qui viennent engager des études de troisième cycle. A titre d’exemple, les grandes écoles françaises, où la part des Tunisiens et des Marocains n’est pas négligeable, ne recrutent guère les étudiants algériens depuis un certain temps. Si l’on n’y prend garde et en prenant en compte seulement ceux qui sont formés sur place, il n’y aura plus, dans un proche avenir, de relèves générationnelles de compétences dans beaucoup de domaines. L’Algérie fait fonctionner certains départements techniques avec les générations formées dans les années 60/70, celles des années 80/90 sont dans la gestion du culturel et de l’idéologique, c’est-à-dire du discours, et la plus grande partie des activités de pointe est sous-traitée par l’international. Les causes de cet état de fait sont multiples. L’enseignement a été l’otage, il faut le dire, d’enjeux idéologiques et instrumentalisé à des fins de réalisation d’intérêts de groupes sociaux particuliers, schizoïdes. De ce point de vue, l’arabisation à la va-vite qui a fonctionné comme alibi politique a participé de ce processus de délitement. C’est une évidence de le rappeler, mais ce n’est pas la langue arabe, langue des sciences et de la philosophie s’il en est, qui est en cause. Ce sont les conditions politiques, sociologiques et surtout pédagogiques de sa mise en œuvre qui ont été catastrophiques. Ainsi, beaucoup d’enseignants ont été recrutés dans les années 1980 par l’échec, el ahlia pour les instituteurs, le bac pour le collège, la licence pour le supérieur. Le ministre en poste soulevait lui-même, le 4 août 1966, dans une communication en conseil des ministres, le cas « des enseignants du Moyen-Orient (qui) n’ont pas foi en leur mission et sont sous-qualifiés » ; il ajoutait qu’« il n’existe pas de manuels scolaires (...) toutes ces conditions ont fait que nous nous heurtons auprès de l’opinion publique et notamment auprès des parents à une désaffection pour la langue arabe ». Face à des modalités d’inculcation « positivistes » héritées, qui bien qu’érodées se maintenaient, une modalité pédagogique dominante fondée sur un modèle d’apprentissage mnémotechnique, une vision évolutionniste de l’histoire, une conception empiriste de la connaissance travaillait le système d’enseignement, définissant des schèmes de pensée spécifiques, une manière particulière d’appréhender le monde et les objets.
- Certains analystes considèrent l’arabisation comme le mal de l’enseignement, que ce soit au niveau scolaire ou universitaire. Quel est votre point de vue ?
- Il ne faut pas avoir un jugement éthique ou moral mais analyser objectivement un processus dont les effets pervers continuent à se manifester. La rapidité de l’introduction de l’arabe dans l’enseignement, l’absence de moyens et de supports pédagogiques pour l’apprentissage de la langue ou dans la langue, la nature et la qualité de la formation des maîtres, leur origine sociale ont contribué à produire des générations superficiellement arabisées mais méthodiquement endoctrinées. Le mouvement de l’arabisation dans l’enseignement a fonctionné d’abord comme le produit de prises de décisions successives qui semblent ne tenir en aucune façon des conditions préalables à leur réalisation. Il y a un effet fait accompli dans la stratégie de mise en œuvre du processus. Aussi bien dans les premières années qui suivirent l’indépendance qu’à la fin des années 1970 ou 1980, l’action précédait la rationalisation. Les décisions apparaissaient comme des consécrations d’un rapport de force qui se dénouait derrière la scène politique. Le mouvement amorcé va, avec un effet « boule de neige », de manière violente ou forcée, s’élargir jusqu’à l’inversion des rapports de force qui prévalaient initialement.



Par Mokrane Ait Ouarabi El watan ( edition aout 2008)


18/08/2008
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Sauver l’université pour sauver la société

Enseignement supérieur

Sauver l’université pour sauver la société

Nous proposons d’apporter par notre intervention une dimension historique au débat portant sur l’université algérienne. Mais nous souhaitons rappeler, au préalable, la gravité des enjeux liés au thème soumis à notre réflexion.



Le défi des défis

Le système d’enseignement et en particulier l’université qui en constitue la clé de voûte tendent à occuper une place centrale dans la société contemporaine où toutes les sphères d’activité reposent sur le savoir et sa maîtrise. De nos jours encore plus qu’auparavant, les succès d’une nation comme ses échecs trouvent leur source dans leur système d’enseignement. La principale richesse d’un pays réside dans la qualité des ressources humaines qu’il a su former : la compétitivité de celles-ci représente aujourd’hui, notamment pour les pays en voie de développement, un enjeu de survie, une question d’être ou de ne pas être dans le contexte d’une économie de la connaissance globalisée où les nations se livrent une concurrence sans merci. Situé au fondement de la réussite des autres secteurs stratégiques, défi des défis, le système éducatif interpelle l’ensemble de la société et en premier lieu ses dirigeants politiques qui sauront, par le sens de leur haute responsabilité, par leur courage politique et leur clairvoyance, en faire la priorité des priorités. C’est de la valeur que ces dirigeants accordent au savoir et aux porteurs du savoir, de leur capacité à mobiliser la société pour construire l’école et l’université que dépend le destin de la nation.

Une perspective historique

Afin d’analyser une situation universitaire devenue confuse, caractérisée par la surabondance et l’enchevêtrement complexe des problèmes et où l’essentiel est noyé dans l’accessoire, nous privilégions une approche par l’histoire, afin de démêler les questions de fond et d’en retracer la genèse. Nous nous demanderons comment et dans quelles conditions a été produite dans les trois dernières décennies l’université d’aujourd’hui. Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Quelles solutions pourrait-on envisager ? Le système organisationnel actuel de l’enseignement supérieur a été mis en place au début des années 1970, et il n’a pas cessé depuis de développer ses logiques pour produire les caractéristiques de l’institution présente. Nous tenterons de montrer que l’université algérienne sera dans l’incapacité de se réformer et de s’adapter aux défis que lui posent la société et la mondialisation tant qu’elle reste captive d’un système organisationnel qui, paradoxalement, accorde la primauté à la fonction administrative sur les fonctions d’enseignement et de recherche. Il s’ensuit le désintérêt pour la recherche pédagogique ainsi que pour les études évaluatives et prospectives, qui est la cause de la perte de maîtrise par l’institution de son fonctionnement et de son devenir.

L’université des années 1960

Dans une première étape de son histoire correspondant aux années 1960, l’université nationale maintenait les standards les plus élevés au niveau international. C’était une institution prestigieuse, de haute culture, mais elle n’était algérienne que par le territoire où elle se trouvait. L’institution était demeurée un prolongement de l’université française de 1962, par son organisation administrative, par la langue, les méthodes et les programmes d’enseignement, par ses enseignants coopérants et donc par ses diplômes reconnus de plein droit par l’Etat français. Ce modèle universitaire était mis en cause pour son caractère exogène et aussi pour sa conception élitiste de la science pour la science, ses programmes abstraits et théoriques, ses faibles effectifs d’inscrits et les déperditions massives qui le caractérisent. L’université n’apportait qu’une contribution négligeable à la résorption de l’énorme déficit en cadres du pays qui constituait la première contrainte au développement.

Le défi démographique

La rentrée de 1969 a représenté le commencement d’un processus de démocratisation massification qui a marqué le début d’une rupture avec la logique élitiste de l’institution héritée et l’entrée de l’université dans une seconde étape de son histoire. Les transformations quantitatives et qualitatives de l’enseignement secondaire en amont vont alors commencer à transformer l’université jusqu’à finir par complètement la bouleverser. Sur un plan quantitatif, entre 1962 et 1968, l’université était passée de 3000 à 10 000 étudiants avec une croissance moyenne annuelle d’un millier d’inscrits. Mais à partir de la rentrée de 1969, l’institution a connu un doublement, en deux années, du nombre des étudiants qui sont brusquement passés de dix à vingt mille, entre la rentrée de 1968 et celle de 1970. De 1968 à 1976, les effectifs des étudiants ont été multipliés par cinq, passant à cinquante mille. Cette explosion démographique qui va se poursuivre de manière pratiquement ininterrompue jusqu’à nos jours a représenté, représente et représentera le lieu nodal des problèmes de l’université algérienne.

Les objectifs de la réforme de 1971

L’emballement des effectifs entre 1968 et 1970 avait hâté l’adoption d’un projet de refonte de l’université qui a eu lieu à la rentrée de 1971. Le réformateur de 1971 avait bien vu que ce rythme vertigineux d’augmentation des effectifs ne pouvait s’effectuer dans le cadre demeuré inchangé de l’université traditionnelle. Sinon, il impliquerait une croissance en proportion des moyens de tous ordres, notamment en enseignants qualifiés, qui était sans rapport avec les capacités du pays. L’université ne pouvait relever le défi de la montée vertigineuse du nombre des étudiants sans d’abord modifier l’équation traditionnelle de l’enseignement et recourir aux formules de la pédagogie rationnelle permettant de multiplier les capacités d’accueil des établissements et d’action des enseignants. Le problème démographique se traduit donc par un défi d’ordre pédagogique et institutionnel plus que par un défi en termes de moyens. Autrement dit, l’augmentation rapide des effectifs demandait certes des moyens supplémentaires considérables ; mais elle impliquait aussi et surtout de développer la capacité à adopter et maîtriser des modes plus performants d’organisation et de gestion de ces moyens. Le projet de réforme de l’enseignement supérieur initié en 1971 visait à recentrer l’université sur la culture et les besoins de développement du pays, à opérer la refonte de l’institution héritée pour créer une identité éducative nouvelle : « l’université algérienne ». Cependant, la poursuite d’une démographie galopante dans le cadre de structures de l’université traditionnelle incompatibles avec le grand nombre entraînerait mécaniquement une accumulation rédhibitoire des déficits qui viderait de leur signification les grands choix de la politique éducative « d’algérianisation », de « démocratisation », « d’arabisation » et « d’orientation scientifique et technique ». Aussi, le concepteur de la réforme, a-t-il projeté de reconstruire l’enseignement supérieur algérien sur la base des innovations les plus performantes dans le domaine de la pédagogie universitaire. Afin d’assurer selon la formule utilisée « une formation maximale au moindre coût » de cadres opérationnels pour le développement du pays le réformateur avait opté pour :
- Une université intégrée pluridisciplinaire fondée sur une organisation modulaire et semestrielle des études et de la progression ;
- pour des méthodes actives d’enseignement et le contrôle continu des connaissance. Il préconisait de faire de la participation à la base des enseignants et des étudiants « la cheville ouvrière » de la réforme selon le discours officiel. Le projet de refonte de 1971 présente de fortes similitudes avec la réforme actuellement en cours du LMD. On peut en tirer des enseignements sur les conditions préalables que doit réunir cette dernière réforme pour éviter le sort connu par sa précédente de 1971.

L’origine de tous les maux : un système organisationnel contre nature

Mais à l’opposé de ce principe de participation, la réforme de 1971 a été abordée en mettant un terme aux éléments d’autonomie de l’université qui restaient. Au lieu de les renforcer, elle a commencé par la suppression de l’élection par les enseignants des doyens des facultés, de leurs assesseurs et des chefs de section. Le syndicat libre des étudiants (UNEA) n’a pas tardé à être dissous. Une énorme machine administrative centralisée a alors été mise en place à travers laquelle le ministère gérait directement les universités, nommant les responsables aux différents échelons de celles-ci et appliquant autoritairement la réforme au moyen d’une réglementation nationale uniforme, vétilleuse. La communauté universitaire a ainsi été dessaisie de sa responsabilité de gérer collégialement ses activités scientifiques et pédagogiques. Le pouvoir au sein de l’université a été concentré au niveau de l’administration centrale où les préoccupations politico-administratives prenaient le pas sur les préoccupations académiques. La hiérarchie des fonctions universitaires a été inversée : la fonction administrative s’est subordonné les fonctions pédagogiques et de recherche au lieu de les servir ; corollairement, les finalités extra-universitaires ont pris le dessus sur les finalités universitaires. La porte a dès lors été grande ouverte et l’est restée à toutes les instrumentalisations politiques et idéologiques de l’institution, à toutes sortes de dérives, d’atteintes aux valeurs académiques et à l’éthique universitaire. Ce sont les anti-valeurs de la société qui vont se répandre dans l’université et non l’inverse.

Une réforme dénaturée

A peine définie dans ses lignes théoriques, la réforme a été mise en œuvre à la rentrée de 1971 par un train de décrets, d’arrêtés et de circulaires qui ont remplacé l’ancienne réglementation. Le projet de 1971 reposait sur les principes de la pédagogie rationnelle qui opère un renversement du paradigme de la pédagogie traditionnelle ; l’une est centrée sur l’enseignant, l’autre sur l’apprenant. La mise en œuvre de ce projet ne pouvait donc s’effectuer que dans la mesure où elle s’accompagnait d’une profonde reconversion des attitudes des enseignants grâce à leur sensibilisation et leur formation au système de références et aux nouvelles méthodes de la pédagogie moderne. L’action de réforme se définit par la capacité de dépassement du présent vers un avenir à inventer ; son succès est conditionné par la créativité pédagogique dont on fait preuve pour imaginer le futur et donc par la capacité à organiser et à mobiliser le potentiel de recherche sur l’université. Le développement de la recherche était d’ailleurs une condition préalable pour la reconversion des attitudes des enseignants. La recherche permet en effet de s’informer sur les nouveaux savoirs pédagogiques, de les repenser en fonction des problèmes l’enseignement supérieur algérienne pour enfin les diffuser largement. Mais, la fonction pédagogique étant minorée dans l’université, ces deux conditions de reconversion des mentalités et de recherche pédagogiques sont demeurées à l’état de vœux pieux. le réformateur avait conçu un projet cohérent et séduisant sur le plan théorique des orientation politiques et des principes directeurs organisant l’institution nouvelle, mais ils l’a appliqué au moyen d’un cadre organisationnel incompatible avec ses principes de départ sans s’appuyer sur la recherche pour traduire ces orientations et ces principes du plan théorique vers le plan opérationnel des pratiques pédagogiques, et donc sans pouvoir faire évoluer les anciennes mentalités demeurées traditionnelles et qui continuaient à orienter les comportements. Les meilleures idées éducatives ont été prônées par le réformateur, mais elles ont été dénaturées par la machine administrative qu’il a mis en place et réinterprétées dans la logique de l’ancien système pédagogique. Sous l’apparente rénovation du système universitaire, la réforme de 1971 n’avait abouti qu’à ébranler l’ancien système sans instaurer le nouveau, multipliant les discordances et les dysfonctionnements. Les choix rationnels et idéaux sur le papier que le décideur central, isolé des réalités par une chaîne hiérarchique infinie, a effectués, allaient sur le terrain se révéler les pires parmi tous des choix possibles. Le système de progression modulaire et semestriel, qui constituait le cœur du dispositif institutionnel instauré par la réforme de 1971 et qui a été adopté comme la solution idoine pour réaliser « l’objectif de formation maximale au moindre coût », sera appliqué sous une modalité qui généralisera les déperditions, contribuant au contre-objectif de « formation minimale au coût maximal ». Dans les rapports d’évaluation de la réforme effectués 1977, on s’étonnait que même dans les formations où le taux de succès aux examens dans chaque module avait atteint 90%, plus de 80% des étudiants avaient des dettes dès la fin de leur second semestre et que celles-ci allaient vite s’accumuler tout au long de leur parcours. La réglementation aurait abouti, si elle avait été rigoureusement appliquée, à complètement paralyser la progression des étudiants. Devant la désorganisation croissante et la contestation généralisée, ce système a été supprimé par la contre-réforme du début des années 1980 qui a effectué un repli définitif vers les positions sécurisantes de la pédagogie traditionnelle . Nous soutenons ainsi, à l’encontre des idées reçues, que la réforme de 1971 n’a pas constitué une rupture, ni contribué à rénover le système pédagogique ou à favoriser la démocratisation massification de l’institution, mais qu’elle a plutôt contribué au résultat inverse.

Une course poursuite désespérée

Faute de réussir à changer l’équation de l’enseignement, les pouvoirs publics se sont engagés dans une course poursuite désespérée derrière le rythme explosif d’augmentation des effectifs qui sont passés de dix à cinquante mille entre les rentrées de 1969 et de1976. Le ministère fera procéder au recrutement massif de tous les candidats fraîchement licenciés à un poste d’assistant. Le nombre des assistants passera de 225 en 1969 à 1509 en 1975 ; Le nombre des assistants coopérants étrangers augmentera de 420 en 1969 à 2781 en 1977. Le taux d’encadrement pédagogique a pu être maintenu et même amélioré, mais au prix d’une baisse de la qualification des enseignants algériens et d’une plus forte dépendance étrangère. Par ailleurs, les retards importants accusés dans le programme de construction des grandes universités prévu par les deux plans quadriennaux ont fait que les effectifs supplémentaires d’étudiants attendus seront accueillis soit dans des établissements encore en chantier et dépourvus d’équipements pédagogiques (bibliothèques, laboratoires, salles de T.P.), soit pour le reste dans des locaux de fortune (casernes désaffectées, écoles, lycées...) aménagés à la hâte, à la veille de chaque rentrée. Ainsi, à la place des programmes prévus par les deux plans quadriennaux, c’est une série deprogrammes prévus par les deux plans quadriennaux, c’est une série de mesures conjoncturelles qui ont imprimé au développement du réseau universitaire une direction inattendue.

L’enfermement dans la logique quantitativiste

Constamment débordés par le surnombre, et recevant des lycées eux-mêmes en difficulté, des étudiants moins bien préparés pour l’enseignement supérieur, les enseignants universitaires tendaient naturellement à ajuster leur enseignement au niveau de leur public, abaissant année après année leurs critères d’exigence. Sous la pression de l’arrivée des nouvelles promotions toujours plus nombreuses, ils étaient tenus sous peine d’engorger les cursus de faire réussir un maximum d’étudiants. Le système d’évaluation des acquis de ces derniers avait perdu dans ces conditions toute signification. L’obsession des responsables des établissements était d’assurer avant tout une place physique aux étudiants. Faute de leur accorder les conditions minimales d’étude, ils étaient prêts à toutes les concessions pour maintenir la paix sociale à l’université. La gestion administrative des flux tendait à remplacer la gestion par les critères scientifiques et pédagogiques. L’ensemble du fonctionnement de l’université a fini par s’enfermer dans l’engrenage d’une logique purement quantitativiste qui façonnera les mentalités, précipitant l’érosion des valeurs académiques et la perte de crédibilité de l’institution. Les responsables institutionnels étaient sommés de faire du chiffre, de caser coûte que coûte des étudiants en sureffectif croissant chaque année, de les inscrire en plus grand nombre encore dans les sections arabophones et dans les filières de la science et de la technologie. La croissance rapide des effectifs et des constructions universitaires avait d’abord pour fonction d’illustrer les pas de géant réalisés par le pouvoir révolutionnaire dans la voie de la « démocratisation », de « l’arabisation » et de « l’orientation scientifique et technique » de l’université ; il importait peu que cela se fasse au prix de solutions de façade qui vidaient ces orientations de leur contenu. Les aspects les plus visibles, les plus quantifiables, ont ainsi été privilégiés sur les aspects pédagogiques et scientifiques moins tangibles qui définissent l’université dans son essence.

La négation du pédagogique

Sous la pression des sureffectifs et des contraintes idéologiques et politiques, les responsables aux différents niveaux du système étaient dans l’incapacité d’adopter une approche stratégique. Ils étaient trop obnubilés par les problèmes du jour pour penser à prévoir ceux de demain, et consacrer ne serait-ce que 3 à 5% des ressources aux études évaluatives et prospectives. C’était un luxe pour eux que d’accorder de l’intérêt à la recherche sur l’enseignement supérieur, au perfectionnement pédagogique des enseignants ou aux autres conditions d’une formation de qualité dont les effets ne se manifestent qu’à plus long terme. Au temps des certitudes politiques et de l’unanimisme populiste, les études évaluatives sur l’enseignement supérieur étaient d’ailleurs jugées inutiles, voire suspectes politiquement par leur intention critique. Le réseau universitaire s’était ainsi considérablement étendu à coup d’investissements énormes depuis le début des années 1970, alors que les capacités de conception et d’études pédagogiques indispensables pour la maîtrise de son fonctionnement ont été abandonnées à l’état embryonnaire. De plus, l’université algérienne avait connu des réformes incessantes et contradictoires tout au long des années 1970 à 1980 impliquant des besoins accrus en études et recherches pédagogiques pour résoudre les problèmes de plus en plus complexes qui s’étaient posés. Le problème de fond de l’université algérienne provient ainsi de ce que l’on ne s’est pas préoccupé de mettre en place toute une infrastructure de recherche en éducation et en formation pédagogique qui aurait au cours des trois dernières décennies constitué une pépinière de chercheurs et de spécialistes dans tous les domaines de l’enseignement supérieur. Il en aurait résulté une plus grande capacité institutionnelle et de gestion ainsi que la diffusion chez une masse critique d’enseignants d’une culture pédagogique moderne qui fait gravement défaut aujourd’hui.

L’instrumentalisation politique de l’institution

Il peut paraître paradoxal qu’une institution éducative renonce à la pédagogie ; qu’elle se refuse les moyens de son efficacité, comme si elle se désintéressait de ses propres fins ; qu’une institution de recherche éclaire les pratiques des autres secteurs de la société, mais renonce à retourner ses propres lumières sur elle-même. L’occultation sur le long terme de la pédagogie est à rapporter au système institutionnel d’un état qui monopolisait à son sommet, les pouvoirs politiques, économiques, culturels et éducatifs de la société et subordonnait directement le champ universitaire au champ politique. Le système étatiste privait l’université à l’instar des autres champs sociaux de l’autonomie relative qui leur est nécessaire pour fonctionner, tout en faisant prévaloir leur rationalité et leurs valeurs propres. Son pouvoir de décision en matière de gestion pédagogique et scientifique excentré, la communauté universitaire ne pouvait éclore en tant que communauté autonome et organiser l’institution en fonction de ses fins propres : celles-ci ont été subverties par les fins de légitimation du pouvoir central et une politique populiste qui a pu mettre en place rapidement un imposant réseau universitaire et un système éducatif étendu, mais sans réussir à construire chez les acteurs les compétences et la culture pédagogique nécessaires à la maîtrise de son fonctionnement.

Pour sauver l’université algérienne

Se refermant sur lui-même et mettant en place les conditions de sa propre reproduction, le système universitaire des années 1970 a survécu à son contexte sociopolitique de création. Il a continué à développer ses logiques à contre-courant du mouvement de la société initiée après octobre 1988. Les responsables, comme l’ensemble des autres acteurs de l’université, sont captifs d’une impuissance structurelle à maîtriser le fonctionnement d’un système ingouvernable par son opacité et qui, quels que soient leur bonne volonté et les efforts qu’ils déploient, finissent toujours par retourner contre eux leurs propres actions. Le premier problème, celui dont la solution conditionne la résolution de tous les autres, est de parvenir à libérer l’enseignement supérieur des pesanteurs bureaucratiques d’un système hiérarchisé, replié sur lui-même, qui enferme le fonctionnement de l’université dans la routine et le stérilise. Il s’agit de réorganiser l’institution en remettant le système actuel sur ses pieds, de rétablir la hiérarchie naturelle des fonctions universitaires en accordant la primauté aux fonctions pédagogique et scientifique sur la fonction administrative ; autrement dit de redonner à l’université, la marge d’autonomie qui lui est nécessaire pour fonctionner correctement. Les solutions les plus pertinentes, envisagées ces dernières années par les décideurs du secteur pour remettre l’institution à flot, n’ont pas pu être introduites dans le cadre d’une organisation close, inerte, fermée au changement. Le projet de création de centres réformes d’excellence d’enseignement et de recherche, par exemple, est demeuré sans suite, bien qu’il date d’une quinzaine d’années déjà ; ces centres étaient destinés à servir de référence au reste du système universitaire pour le tirer vers le haut et l’inscrire positivement dans le champ de la compétition scientifique internationale. Par ailleurs, un important effort financier est consenti depuis 1999 pour intégrer les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l’université pour laquelle elles représentent un facteur essentiel de performance. Grâce au formidable potentiel éducatif qu’elles renferment, les TIC offrent, en effet, aux universités qui connaissent une pénurie structurelle de ressources, l’opportunité de contourner celle-ci et de faire face aux problèmes posés par le surnombre d’étudiants, par le déficit qualitatif de la formation et la faiblesse de la recherche. Ces technologies favorisent la transparence de la gestion et l’éclosion d’une intelligence collective par la constitution de réseaux virtuels nationaux d’enseignement et de recherche ouverts sur les réseaux académiques régionaux et mondiaux. Incontournables pour sortir l’université algérienne de son impasse actuelle, les TIC ne révèlent leurs potentialités éducatives révolutionnaires que portées par une institution dynamique, préparée à les accueillir. Récemment, la réforme du LMD se fonde dans son principe même sur l’autonomie des universités et une large décentralisation permettant la responsabilisation des personnes et des collectifs mobilisés autour de projets. Il ne peut ainsi être mis un terme à une sclérose mortelle qui ferme l’université algérienne à tout changement sans revoir les structures d’autorité du système d’enseignement supérieur et introduire une saine gouvernance et une gestion démocratique dans les établissements. Dans cette perspective, l’administration de tutelle devra progressivement se délester des missions de contrôle a priori par voie réglementaire du fonctionnement interne des établissements qui la détournent de ses véritables prérogatives. La gestion directe de ces derniers est d’ailleurs devenue impossible à assurer à ce niveau, en raison de la multiplication des universités et de la complexité de leurs activités. Le ministère se recentrera sur ses activités stratégiques d’orientation et de coordination d’ensemble du système universitaire, d’évaluation et de prospective. Il sera accordé davantage d’autonomie en matière d’organisation interne et de fonctionnement aux universités qui seront pilotées a posteriori par l’administration de tutelle, sur la base de leurs résultats, au moyen d’un système d’évaluation des performances. Les universités deviendront alors de véritables lieux de décision, des partenaires qui entretiennent des relations contractuelles avec les institutions de l’Etat et avec les entreprises économiques. Les responsables des établissements auront moins à administrer, c’est-à-dire appliquer des directives de la tutelle dont ils seraient de simples relais, qu’à gérer, à optimiser l’utilisation des moyens à disposition ; ils susciteront et soutiendront les initiatives, encourageront la participation de tous aux décisions et favoriseront l’insertion des universitaires dans les réseaux scientifiques internes et externes. C’est donc une mutation en profondeur de l’administration de l’enseignement supérieur qui doit être mise en œuvre progressivement, impliquant la diffusion d’une nouvelle culture organisationnelle et la création de compétences nouvelles chez les dirigeants et les différents acteurs de l’université. La réussite de cette mutation institutionnelle est une condition pour que l’université algérienne déploie toutes ses potentialités et se mette au diapason des tendances mondiales de l’enseignement supérieur. Le passage à l’autonomie n’est cependant pas chose aisée. II suppose un changement profond des rapports de pouvoir au sein du système d’enseignement supérieur qui remet en cause des privilèges et des situations acquises, entraînant de fortes résistances. La reconversion progressive de mentalités, façonnées dans le moule bureaucratique et fossilisées depuis trois décennies, constitue aussi un défi important à relever. L’autonomie appelle, en effet, une révolution de pensée, une mutation en profondeur du système administratif universitaire ; elle doit s’accompagner de la diffusion d’une nouvelle culture organisationnelle et de la création de compétences nouvelles chez les dirigeants et les différents acteurs de l’université. Les difficultés de l’entreprise et son ampleur font qu’elle ne peut être menée à bien sans un fort engagement du politique au plus haut niveau, puisqu’il s’agit de réaliser une reconfiguration organisationnelle globale de l’institution et de la reconstruire progressivement sur des bases entièrement nouvelles. c’est devenu un impératif d’existence pour le service public de l’enseignement supérieur que de mener à bien sa refondation pour faire face aux défis que posent la globalisation et l’émergence de la société de l’information. L’imminence des accords d’adhésion du pays à l’OMC et d’association avec l’Union européenne laisse peu de temps, si la volonté politique existe, pour sauver l’université algérienne et par voie de conséquence la nation.

Les années 1980 : la politique des faux-semblants

Les mécanismes mis en place pendant les années 1970 vont monter en cadence pendant la décennie suivante. Celle-ci se singularise par la contre-réforme, l’arabisation totale des sciences sociales et la prédominance de la technologie. Pendant les années 1970, les sections arabophones se sont rapidement étendues dans les sciences sociales jusqu’à compter dès 1988, plus d’étudiants que les sections francophones, mais avec 3 à 4 fois moins d’enseignants dans la plupart de ces disciplines. On a laissé ces sections se dégrader, tout au long de la décennie 70 et manquer de tout, sans se préoccuper, d’inciter et d’aider les enseignants francophones à s’arabiser pour les renforcer progressivement. L’arabisation des sections francophones de sciences sociales, juridiques et économiques a été décidée subitement, à la veille de la rentrée de 1980, à la hâte, sans préparation. Les francophones, qui constituaient la grande majorité des enseignants dans les sciences sociales les plus expérimentés et les mieux formés, ont été mis en jachère dans ce secteur stratégique pour le pays et remplacés par le recrutement d’un grand nombre d’assistants arabophones, le plus souvent titulaire d’une simple licence. La filière de technologie va, pendant la décennie 1980, davantage encore que les sections arabisées, être gonflée artificiellement : n’accueillant que 14% de l’ensemble des étudiants en 1979-1980, elle va en recevoir 40% en 1989-1990, soit un bond incroyable de 60 000 unités. Mais la multiplication rapide, notamment dans les centres universitaires des villes moyennes, d’instituts de technologies démunis du minimum de moyens humains et matériels pour fonctionner, atteste du peu de sérieux accordé aux valeurs de l’université par une politique de fuite en avant, fondée sur les faux-semblants.

La « mort lente » de l’université

Privée d’un appareil efficace d’information et de références pour l’action, aveugle à elle-même, l’université s’était condamnée à naviguer à vue et perdre la maîtrise de son devenir. Elle a, dès le milieu des années 1980, été analysée par la plupart des auteurs comme une institution complètement submergée par les vagues démographiques successives et empêtrée dans un désordre pédagogique inextricable. La crise économique à partir de la deuxième moitié des années 1980 puis la situation sécuritaire des années 1990 n’ont fait qu’enfoncer davantage l’institution dans son marasme : investissements dérisoires sans rapport avec l’augmentation explosive des effectifs, dégradation des conditions de vie et de travail des enseignants et des étudiants, fuite des cerveaux, absence de débouchés pour les diplômés, obsolescence des enseignements, enclavement d’une université coupée sur le long terme d’une science internationalisée et en rapide renouvellement etc. La désorganisation des cadres de travail collectifs de l’université fait de celle-ci un univers anomique, atomisé, caractérisé par le laisser-aller et où chacun est replié sur lui-même, n’étant soumis à aucune exigence, sinon la sienne. Isolés, désorientés et déstabilisés dans leur travail, la grande majorité des enseignants chercheurs n’est pas en mesure de mener une activité de recherche qui est nécessaire pour actualiser ses cours. Ils transmettent indéfiniment le même stock de connaissances obsolètes et en dégradation continue d’une année à l’autre. Il en résulte une déprofessionnalisation des universitaires qui fait entrer l’institution et ces derniers dans « une mort lente ». L’université ne semblait pas avoir d’autre finalité que son autoreproduction élargie, approfondissant son propre sous-développement. Elle a perdu le sens de l’acte éducatif en même temps que celui de sa vocation sociale. L’histoire de l’université algérienne se présente ainsi comme celle d’une institution qui, malgré les efforts déployés pendant au moins une décennie et demie pour la faire naître, pour la construire conformément à ses principes, a été perpétuellement déstabilisée par des crises successives. Cette déstabilisation est multiforme : elle est démographique, mais aussi institutionnelle, pédagogique, scientifique, éthique, linguistique, spatiale etc. L’institution semble avoir perdu pendant la deuxième moitié de la décennie 1980, tout répondant, toute force de réaction aux forces destructrices qui l’agressaient. L’université algérienne n’est pas parvenue jusqu’à nos jours, à s’affirmer comme une collectivité relativement autonome et à assurer son décollage, mettant en place les conditions d’une accumulation irréversible d’expérience pédagogique, scientifique et organisationnelle.

• Communication présentée au débat d’El Watan sur l’Université le jeudi 13 avril 2006.



Par Mohamed Ghalamallah


18/08/2008
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Peut-on réformer l’université ?

Peut-on réformer l’université ?

La voie de l’autonomie

Le projet d’autonomie de l’université est le terme sous lequel a été connue la réforme élaborée au cours de l’année universitaire 1989-1990. Il s’inscrit en droite ligne des idées développées par les groupes de travail ayant eu à réfléchir sur les réformes au cours des années 1987 et 1988. Ces réformes ont débouché sur le concept d’autonomie des entreprises. C’est dans le même esprit qu’a été développé le projet d’autonomie de l’université.



Il faut rappeler que l’université française, dont l’université algérienne était l’héritière, avait déjà fait sa mue dans le sillage de mai 1968 et que l’autonomie y était déjà largement consacrée. En 1986-1987, Devaquet, le ministre français de l’Enseignement supérieur, voulut faire un pas de plus dans l’autonomie en introduisant l’orientation des bacheliers, en relevant les droits d’inscription et en accordant plus d’autonomie financière aux établissements. Mais le projet a dû être retiré sous la pression de la rue et dans des conditions dramatiques, après la mort du jeune Malik Oussekine, lors des manifestations estudiantines. En Algérie, l’université avait subi une évolution exactement inverse. La réforme de l’enseignement supérieur de 1970 avait mis l’université sous la tutelle étroite du parti-Etat et au service de l’option socialiste. Après l’ouverture politique de 1989, il était tout naturel que l’université ne reste pas en marge des réformes et s’adapte à la transition démocratique et à l’économie de marché. Mais l’institution universitaire avait tellement pris de retard que ces réformes ne pouvaient être que douloureuses. Le projet d’autonomie de l’université ne pouvait que rencontrer des oppositions très vives tant parmi les enseignants que les étudiants. Il faut se rappeler que le contexte de l’époque était très difficile. Une année seulement après les événements d’octobre 1988, le pays connaissait une très grande instabilité marquée par la montée en puissance du FIS. On comprend, dans ces conditions, que les décideurs d’alors, sans doute par manque de conviction, mais surtout par crainte des dérapages, n’aient pas jugé utile de donner suite à ces réformes. Pour mieux comprendre les tenants et aboutissants du projet d’autonomie de l’université, il n’est pas inutile de rappeler les principaux axes de la refonte de l’enseignement supérieur de 1970 et les résultats auxquels elle a abouti deux décennies plus tard.

La refonte de l’enseignement supérieur

C’est en 1970 qu’a été créé le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. La même année fut mise en œuvre une véritable refonte de l’enseignement supérieur. A l’université héritée de la période coloniale, accusée d’être enfermée « dans sa tour d’ivoire », devrait se substituer une université algérienne, en conformité avec les orientations socialistes du pouvoir révolutionnaire. L’université se devait d’être totalement mobilisée pour fournir les cadres, dont le pays avait besoin pour son développement. Chaque université sera donc dirigée par un recteur nommé par décret présidentiel. Les facultés sont supprimées et remplacées par des instituts. A la tête de chaque institut est désignée une direction collégiale, le conseil de direction. Toute conception élitiste est bannie et la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur affirmée avec force. Les chaires et la fonction de professeur titulaire de chaire sont supprimées pour mettre fin au mandarinat. Des comités pédagogiques sont institués. La formation est accélérée. Le système annuel est remplacé par un système semestriel, avec l’objectif de former 2 cohortes chaque année. Le système des disciplines est abandonné au profit des modules intégrés. Les enseignements de plusieurs filières sont regroupés par modules pour éviter la répétition de cours quasi-identiques. Il n’y a plus d’examens cumulatifs. Les thèses sont supprimées et sont remplacées par de simples rapports de stage, en particulier en médecine. Tout est fait pour éviter les redoublements et surtout les déperditions. Les objectifs quantitatifs sont mis en avant, dans le cadre de la planification des ressources humaines. Les profils scientifiques et techniques ont la priorité absolue sur les sciences humaines qui périclitent. La formation des formateurs est accélérée par tous les moyens. L’algérianisation des enseignants, puis l’arabisation des enseignements viendront couronner la démarche. Il faut aussi signaler la création de l’ONRS pour piloter la recherche et celle de l’OPU pour la production des polycopiés et des manuels universitaires

L’université à la fin des années 1980

Durant les années 1970, les effets de la refonte de l’enseignement supérieur furent plutôt positifs. Mais les objectifs quantitatifs furent rapidement dépassés et aucun mécanisme n’avait été prévu pour réguler les flux. Il est arrivé une année où jusqu’à 2/3 des bacheliers demandaient à s’inscrire en médecine. La restriction de devises rendit problématique l’importation des livres, revues, matériel pédagogique, équipements et fournitures de laboratoire, déjà soumis à la procédure lourde des AGI. Les effectifs considérables d’étudiants et les restrictions à l’importation rendirent quasiment impossible d’assurer les travaux pratiques et les stages. Le niveau des bacheliers lui-même était déclinant et la plupart des bacheliers étaient rachetés, avec des notes très basses, y compris dans les matières essentielles. D’ailleurs, le niveau de rachat au bac était décidé en conseil du gouvernement. La qualité de la formation universitaire ne pouvait que s’en ressentir. Les bibliothèques étaient très pauvres, les structures de recherche quasi inexistantes et même l’ONRS finit par être dissout. La carte universitaire obéissait plus à une logique clientéliste et populiste qu’aux nécessités d’une démocratisation bien comprise de l’accès à l’enseignement supérieur. Des licenciés et des ingénieurs fraîchement diplômés étaient recrutés comme enseignants. La plupart d’entre eux furent titularisés dans le corps des assistants. A la fin des années 1980, l’écrasante majorité des 14 000 enseignants était constituée d’assistants et de maîtres-assistants. En 1990, pas moins de 5000 enseignants n’étaient même pas titulaires du magistère. La grande majorité des 300 enseignants de rang magistral étaient médecins. On vit même apparaître des conseils scientifiques composés exclusivement d’assistants et de maîtres-assistants. Après l’agitation gauchiste des années 1970, les années 1980 virent l’activisme islamiste s’implanter durablement dans les universités. Le non-respect des franchises universitaires, qui était une pratique courante depuis les années 1970, fut banalisé. Les services de sécurité, en civil et en uniforme, devinrent omniprésents dans les enceintes universitaires. La police politique fut plus tard relayée par les bureaux de sécurité préventive, constitués de fonctionnaires civils, chargés de renseigner les services officiels. Par ailleurs, la situation des œuvres sociales universitaires se détériora au fil du temps avec une surcharge considérable des cités universitaires, des conditions de restauration et de transport éprouvantes. La chambre d’étudiant n’était plus qu’un lointain souvenir et l’étudiant hébergé n’eut plus droit qu’à un lit. Le minimum de confort nécessaire pour lui permettre d’étudier n’était plus assuré. La qualité de la formation s’en ressentit très fortement. La baisse considérable de la qualité de la formation, ajoutée à la crise économique, aura pour conséquence un chômage massif des diplômés de l’enseignement supérieur atteignant déjà plusieurs dizaines de milliers en 1990.

Les principaux axes de la réforme

L’autonomie de l’université

Ce projet répond à un double objectif : mettre l’université en conformité avec les exigences de la transition démocratique et former les compétences destinées à évoluer dans une économie de marché.

La démocratie universitaire

Le préalable à toute démocratisation de l’institution universitaire est le rétablissement des franchises universitaires. Les services de sécurité ne pourront plus accéder à l’intérieur des enceintes universitaires, sauf en cas de nécessité absolue et sur réquisition des autorités universitaires. La liberté d’expression sera garantie, l’université encouragera la pensée critique et le libre débat. L’université sera dirigée par un conseil d’administration dont le président sera élu par le conseil. Le conseil d’administration comprendra des représentants élus des enseignants des différents grades, mais aussi des représentants des étudiants et des travailleurs, avec voix consultative. Un schéma analogue régira les facultés avec un conseil de faculté élu et un doyen élu par les enseignants de rang magistral. Les universités et centres universitaires seront totalement autonomes dans leur gestion et bénéficieront donc d’une autonomie budgétaire totale. En dehors du contrat conclu avec les représentants des pouvoirs publics, l’université est libre de contracter avec son environnement immédiat ou lointain pour toute tâche d’enseignement, de recherche, d’étude susceptible de lui assurer des ressources additionnelles. Les universités et centres universitaires seront organisés en réseau à l’échelle régionale. Ce réseau sera animé par les présidents d’université de la région. Une conférence nationale des présidents d’université se réunira au moins une fois par an.

Suppression des tutelles

La tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur sera supprimée. Le ministère ne pourra plus interférer dans la gestion de l’université. A l’avenir, les missions du ministère consisteront en : planification à moyen et long terme, politique de l’enseignement supérieur et de la recherche, obtention des ressources financières en rapport avec les objectifs préalablement définis, réalisation de nouvelles infrastructures ...

Les académies universitaires régionales

Les académies universitaires régionales constitueront l’interface entre les pouvoirs publics et les universités à l’échelon régional. Il s’agira d’une structure administrative déconcentrée émanant du ministère, mais sans pouvoir de tutelle. L’académie élabore le cahier des charges et négocie avec les universités de sa région la dotation budgétaire qu’elle leur accorde en contrepartie du service public d’enseignement supérieur. La négociation doit porter notamment sur les coûts de formation par étudiant et les subventions des projets de recherche.

Statut des enseignants

Les enseignants auront le statut de fonctionnaires d’établissement, ce qui suppose une refonte de la Fonction publique. Ce statut pourra évoluer progressivement vers la généralisation du contrat et des conventions collectives. Ce dernier point devra faire l’objet d’une large concertation. La diversité des statuts des personnels (plein temps intégral, mi-temps, vacation, professeurs associés...) sera la règle. Dans tous les cas, l’université aura toute latitude pour définir le nombre de postes et le montant des rémunérations, les seules limites étant les ressources dont elle dispose. Les enseignants pourront également bénéficier d’une rémunération supplémentaire pour toutes les tâches qu’ils accomplissent au sein ou en dehors de leur université au profit des tiers (enseignement, études, recherche...) à charge pour l’université de récupérer la quote-part qui lui revient si les moyens de l’université ont été utilisés. Les cadres issus des secteurs économique et administratif seront encouragés à enseigner à l’université et les universitaires pourront exercer parallèlement dans le secteur économique. Cette souplesse répond surtout au souci de créer des ponts entre la formation universitaire et le monde des entreprises. En outre, les programmes de formation initiale et continuée des enseignants seront généralisés et systématisés. Enfin, il convient de réactiver la coopération internationale et mettre sur pied un plan de réinsertion des universitaires ayant quitté le pays.

Refonte des contenus

Une révision générale des programmes sera engagée dans chaque université. Il s’agira d’abord d’adapter les enseignements à l’évolution scientifique et technique, aux nécessités de l’économie de marché et aux besoins des entreprises. L’harmonisation se fera au niveau régional puis national. L’enseignement des filières scientifiques et techniques sera donc renforcé. Toutefois, une certaine souplesse sera laissée aux universités en fonction des pôles économiques de la région. Les formations courtes à la carte, pour le compte des entreprises, seront mises en place. Il s’agira également de redonner à l’université sa vocation universaliste. L’ouverture sur l’universel exige le rétablissement de l’enseignement des langues étrangères sans exclusive, mais avec une priorité pour les langues des pays ayant des liens historiques, politiques et économiques avec l’Algérie. Le rétablissement de l’enseignement de l’histoire universelle et d’une manière générale celui des sciences humaines dans toute leur diversité est une exigence fondamentale. L’enseignement de la langue amazigh sera dispensé dans toutes les universités. Les filières courtes, à bac + 3, seront réhabilitées avec des passerelles avec les filières longues. La formation en alternance, université-entreprise, sera encouragée. La formation médicale sera dispensée dans des universités des sciences de la santé en relation directe avec les CHU. En raison de l’importance de plus en plus grande de la technologie médicale, les scientifiques et les ingénieurs non médecins pourront intégrer le corps enseignant des sciences médicales. Une réforme du résidanat sera mise en œuvre pour séparer la post-graduation, à vocation universitaire, de la spécialisation avec la possibilité de spécialisation courte à la carte.

Ouverture de l’université sur son environnement

L’accès au savoir, au savoir-faire et à la culture de toutes les catégories sociales, de tous les âges et de toutes les régions du pays sera réalisé par la généralisation du télé-enseignement et l’optimisation des ressources humaines et matérielles de l’Université de la Formation continue. La communication au sein de l’université et entre l’université et son environnement sera encouragée : journaux universitaires, réseau de radios universitaires, salons de l’étudiant, journées portes ouvertes, conférences interuniversitaires, conférences ouvertes au public sur des sujets d’intérêt général. Par ailleurs, les activités sportives et culturelles seront réhabilitées.

Régulation des flux

Chaque université sera libre de fixer les critères d’accès aux formations qu’elle dispense et le nombre d’étudiants qu’elle peut accueillir. L’étudiant aura la liberté de s’inscrire dans l’établissement de son choix s’il répond aux critères pédagogiques exigés. La capacité d’accueil dépendant également des moyens disponibles, il est nécessaire que les crédits alloués par l’académie régionale soient en proportion du nombre d’étudiants. Ainsi, le budget de 1990 correspondait à 3500 dollars par étudiant, très en dessous des normes internationales. Il devrait doubler et même tripler pour assurer une formation de qualité.

La recherche

La recherche universitaire vise avant tout la formation des formateurs. Tous les moyens doivent être fournis aux enseignants pour leurs travaux de thèse, y compris la coopération internationale. Par ailleurs, l’université est le lieu par excellence de la recherche fondamentale destinée à l’accroissement des connaissances et à la maîtrise des techniques. La recherche universitaire doit pouvoir bénéficier de subventions du secteur économique pour l’achat d’équipements et pour le financement de projets. L’entreprise doit également se doter de moyens de recherche propres. L’université et l’entreprise devraient aussi pouvoir développer des projets communs. L’autonomie de gestion sera la règle pour toutes les structures de recherche, intra ou extra universitaires. Le budget de chaque projet devra être individualisé. Une grande liberté doit être laissée aux chercheurs pour la conduite de leurs projets.

Les œuvres sociales universitaires

La réforme des œuvres sociales universitaires sera fondée sur le principe de l’autonomie de gestion, la vérité des prix, la diversification de l’offre et la participation des étudiants à la gestion. En 1990, la dotation de l’Etat pour les diverses prestations (bourse, hébergement, restauration et transport) s’élevait à 1400 DA par étudiant et par mois, alors que le SNMG était de 1000 DA par mois. Il était donc théoriquement possible de libérer les prix, à charge pour l’Etat de verser la subvention directement à l’étudiant. Il faut rappeler que le prix du repas de 1,20 DA fixé en 1963 correspondait au prix réel. La bourse de l’étudiant sera donc réévaluée pour lui permettre de payer les prestations à leur prix réel. Bien entendu, la bourse sera modulée en fonction des ressources de l’étudiant et de sa famille. Les centres des œuvres universitaires seront ainsi mis en concurrence avec les prestataires privés avec à terme la promotion de résidences universitaires privées. L’étudiant aura ainsi le choix du prestataire, ce qui pourrait améliorer la qualité et sans doute aussi faire baisser les prix. Les centres des œuvres universitaires bénéficieront de l’autonomie et les étudiants seront associés à leur gestion.

Perspectives

En dépit de quelques timides mesures prises au cours des quinze dernières années, l’enseignement supérieur attend toujours une réforme de fond. Depuis le début des années 1990, la situation s’est beaucoup dégradée. Les effectifs étudiants ont explosé, alors que les moyens humains et matériels n’ont pas suivi. La subvention de l’Etat correspond aujourd’hui à seulement 1800 dollars par étudiant, soit la moitié du chiffre de 1990. La subvention aux œuvres sociales universitaires n’atteint pas le tiers du SNMG actuel. Aucune réforme ne sera viable si les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous. Pour le reste, toutes les mesures préconisées dans le projet d’autonomie de l’université demeurent toujours d’actualité. La réhabilitation de l’université vise à concrétiser un projet de société où démocratie, égalité, solidarité ne sont pas de vains mots. Il s’agit tout d’abord de restituer à l’université son autonomie, vis-à-vis du pouvoir politique en premier lieu. C’est de cet affranchissement que dépendra le fonctionnement démocratique et transparent des institutions d’enseignement et de recherche. L’élection par les pairs pour tous les postes de responsabilité sera basée sur les seuls critères de compétence pédagogique et d’autorité scientifique. Cette autonomie sera étendue à tous les actes de gestion et à tous les niveaux de la hiérarchie. La responsabilisation accrue qui en résultera aura un effet mobilisateur sur les enseignants et les chercheurs. Il s’agit ensuite de libérer le secteur des contraintes liées à l’hébergement, la restauration et le transport pour que l’université retrouve sa vocation première de lieu d’enseignement et de recherche. Seule la mise en adéquation des œuvres sociales universitaires avec les règles de l’économie de marché permettrait de résoudre, à terme, ce problème. L’étudiant doit bénéficier d’un pouvoir d’achat en rapport avec les prix pratiqués sur le marché. En théorie, il devrait avoir les moyens de se loger dans des résidences universitaires privées ou chez l’habitant, de prendre ses repas chez des prestataires privés et être transportés par les moyens de transport offerts aux citoyens. Tout étudiant devrait aussi bénéficier d’une aide des pouvoirs publics pour l’achat des livres et d’un équipement informatique.

Texte intégral de l’intervention du Pr Abdesselam Ali Rachedi lors des Débats d’El Watan du jeudi 13 avril 2006



Par Abdesselam Ali-Rachedi


18/08/2008
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Du LMD au statut de l’enseignant chercheur. (2e partie et fin)

Du LMD au statut de l’enseignant chercheur. (2e partie et fin)



L’évaluation et l’ assurance qualité

Peut-on parler d’évaluation et « d’assurance qualité », lorsque dans la plupart de nos établissements d’enseignement et de recherche règnent un laxisme absolu, une indifférence totale envers l’obligation des résultats ? Mais qui doit évaluer qui ? Les évaluateurs supposés ont-ils tous les compétences requises pour évaluer leurs pairs ? Existent-ils des instances légitimes et reconnues pour évaluer les différents corps ? Les membres des comités et des conseils scientifiques des Instituts et des départements, etc., disposent-ils des capacités scientifiques pour évaluer les travaux de leurs collègues ? Sait-on que la plupart de nos conseils scientifiques au sein de l’université sont dominés aux trois quarts par des maîtres assistants et titulaires de magistères ?

Les titulaires de doctorats d’Etat, maîtres de conférences et professeurs sont minoritaires et lorsqu’ils siègent dans ces conseils scientifiques, ils arrivent difficilement à influer sur les débats ou sur les orientations pédagogiques. Par ailleurs, beaucoup d’enseignants, même parmi le rang magistral, professeurs et maîtres de conférences n’ont jamais rien produit qui puisse s’appeler « publications scientifiques » dignes de ce nom. En dehors de leurs cours polycopiés, cours qu’ils rebattent à longueur d’année, certains n’ont à leur actif que quelques publications quasi-confidentielles, car éditées par des revues mineures ou par des éditeurs méconnus. Comment ceux-ci peuvent-ils évaluer les enseignants d’échelons inférieurs quand ceux-ci se montrent farouchement opposés à toute évaluation qui est de l’ordre du « copinage » et de la complaisance ? Il faut être au « dedans » et non au dehors de l’université pour apprécier à sa juste valeur la question de l’évaluation. Mais en son chapitre 7, article 23, le décret ministériel en question présente comme un fait palpable l’existence de l’évaluation lorsqu’il déclare que « les enseignants chercheurs sont soumis à une évaluation continue et périodique. A ce titre, ils sont tenus d’établir annuellement un rapport sur leurs activités scientifiques et pédagogiques au terme de l’année universitaire aux fins d’évaluation par les organes scientifiques et pédagogiques habilités ».

Si une telle évaluation et de tels rapports étaient annuellement établis comme il est dit, la situation de nos universités serait bien meilleure, moins sinistrée qu’elle ne l’est à présent. Nous défions quiconque pouvant nous démontrer que ces organes scientifiques et pédagogiques sont à la hauteur de leurs missions et qu’ils disposent réellement de rapports annuels solidement établis par les intéressés. On voit bien que le contenu de cet article de loi ressort plus de vœux pieux et de l’affirmation péremptoire que de la réalité. La réalité est, en effet, bien différente de celle que s’imaginent avec un optimisme béat les rédacteurs de ce décret.

De leur côté, les rédacteurs du rapport national d’évaluation versent dans la même douce illusion lorsqu’ils décrivent comme acquis ou praticable, dans les circonstances présentes, le concept, d’ailleurs emprunté, d’« assurance-qualité ». Défini comme « un processus continue (sic) de la qualité aussi bien de la formation, de la recherche scientifique que du management de l’établissement universitaire », ce concept n’est pertinent et praticable que dans un environnement où toutes les conditions requises d’assurance-qualité (compétence, savoir, savoir-faire, respect élémentaire des règles de l’enseignement et de la recherche…) sont réunies. Or, de telles conditions ne sont point réunies dans nos universités et le concept lui-même d’évaluation répugne sinon à la quasi-totalité du corps enseignant, du moins échappe à son entendement. Les conseils scientifiques institués dans les établissements nous offrent de multiples exemples d’enfantillages, de débats sur des sujets mineurs, de querelles de préséance, de compétition en vue d’avantages matériels ou symboliques (fonctions, stages, bourses…). Lorsqu’il leur arrive de se réunir, ces conseils scientifiques, impressionnant par leur dénomination ronflante, mais vides quant au fond, abordent tous les sujets, sauf l’évaluation et les projets de recherche.

Le plus clair de leurs débats, qui tournent souvent à la dispute, aux clivages d’intérêts et aux conflits entre collègues, gravitent toujours autour des stages et de bourses à l’étranger, mais aussi autour de ces fameuses lettres d’accueil dont on examine à la loupe aussi bien le contenu que la forme pour vérifier si celle du destinataire était ou non authentique, si elle n’était pas falsifiée. Mais comme les règles qui régissent ces conseils scientifiques relèvent plus de l’informel et des rapports de force que fondent le copinage, les affinités des coteries établies, plus que de la transparence, il s’ensuit que la majorité des bénéficiaires sont justement ceux dont les lettres d’accueil sont douteuses, parce qu’elles relèveraient soit de la falsification opérée par l’intéressé lui-même, soit émanent d’un collègue enseignant ou professeur d’une université du Moyen-Orient. Dans certaines de nos universités, le conseil scientifique exige des lettres tamponnées mais repousse celles qui ont des en-têtes. Dans d’autres, les deux formules sont acceptées. Entre les prétendants aux stages, il existe un fort clivage : entre ceux qui reçoivent des lettres de l’Occident et ceux qui en reçoivent de l’Orient. Les deux parties s’accusent mutuellement de falsification de lettres ou d’identification ou d’allégeance à l’une ou à l’autre de ces deux aires culturelles. On voit bien que l’enjeu essentiel du stage brigué n’est pas ce qui est affiché : la formation, le perfectionnement à l’étranger, mais le pécule et le voyage vers l’ailleurs auxquels ce stage donne droit. Au lieu d’être bénéfique pour les intéressés, l’université et le pays, ce droit au stage généreusement octroyé par l’Etat est devenu une véritable forme de perversion intellectuelle, une sorte de prime d’encouragement au renoncement au goût intellectuel et à l’effort réflexif. Que nous apportent ces stagiaires à leur retour au pays ? Des vêtements, des bouts de tissus votifs, des chapelets et des parfums d’Orient ou des gadgets de la modernité occidentale et rarement des livres et un savoir particulier, utile pour le relèvement intellectuel de la nation…

Dans ce contexte, on voit que la mentalité, qui préside au destin de l’enseignement et de la recherche, relève plus de l’esprit d’apothicaire que de l’esprit d’une recherche désintéressée du sens et du savoir… Souvent, les conseils scientifiques des universités, des facultés ou des départements se révèlent à l’examen comme des coquilles vides. Présidés par des docteurs ou pseudos docteurs, ils passent le plus clair de leur temps en réunion interminable à se chamailler sur des questions de procédures et surtout à débattre des questions puériles qui n’ont rien à voir avec la recherche. Parler dans ces conditions d’évaluation et d’« assurance qualité » prête à sourire, surtout lorsque près des trois quarts des enseignants sont constitués d’assistants et de maîtres assistants, dont le niveau scientifique laisse à désirer. Dans certains établissements, l’encadrement souffre tellement de carence que l’on recourt aux emplois précaires, à des magistères et à des licenciés dont le parler, l’écrit et le raisonnement se révèlent à l’examen critique, désastreux. L’emploi de ces précaires, opéré sous la pression des besoins en manque d’encadrement ou par le jeu de copinage, contribue à transformer l’université en un réceptacle de tous les diplômés semi-lettrés et des autodidactes en quête du pain et du « prestige » de la fonction… Dans la plupart de nos établissements universitaires, des licenciés sont appelés en renfort des assistants et maîtres assistants et certains de ces jeunes licenciés ont des faces tellement juvéniles et des comportements puérilsqu’on les confondrait avec leurs étudiants de quatrième année d’histoire, de sociologie, de droit ou de langue étrangère.

Emploi du temps et profils des encadreurs

Les experts fonctionnarisés de notre MESRS, qui ne prennent guère la peine de consulter les enseignants confrontés au problème du terrain ont conçu donc un nouveau statut de l’enseignant chercheur qui, à l’examen, s’avère inadapté aussi bien aux moyens dont dispose l’enseignant qu’aux compétences que requiert l’enseignement de qualité (al-jawda), évoqué par le ministre en charge de ce secteur, lors de son passage à la télévision (El Mountada). Pour saisir ce dont il est question, il convient de s’en tenir tout d’abord aux catégories d’enseignants définis par le nouveau statut sous la rubrique de « nomenclature des corps » avant d’aborder la définition des tâches assignées à chacun de ces corps. Déclinée en quatre catégories, cette nomenclature des corps se présente ainsi : assistants, maîtres assistants, maîtres de conférences et professeurs. Les assistants sont toujours réputés depuis des années comme un corps en pleine extinction, mais qui demeure cependant maintenu comme tel. Ce sont surtout les tâches assignées à chacun de ces corps qui va tout d’abord retenir notre attention. Pour les quatre corps cités, les tâches à effectuer sont quasi-identiques, sauf que pour les maîtres de conférences et les professeurs, les missions sont bien plus lourdes que les autres corps. Les tâches identiques pour les quatre corps d’enseignants consistent pour chacun à assurer des travaux dirigés ou des travaux pratiques selon le volume horaire prévu dans l’article 6, soit neuf heures hebdomadaires ; à corriger les copies des examens dont chacun a la charge ; à participer aux délibérations des jurys d’examen et à prendre part aux travaux de son équipe ou de son comité pédagogique. Cependant, les maîtres de conférences classe A, pour ne pas parler des professeurs, se voient assignés a des tâches lourdes au terme de l’article 44 du nouveau statut, missions si lourdes que les moyens mis à leur disposition se trouvent bien en deçà de l’indispensable. Pour mesurer l’ampleur des tâches imparties aux maîtres de conférences classe A, il suffit de reprendre l’énumération reproduite dans le Journal Officiel avant de confronter, ensuite, ces missions aux moyens et temps offerts à l’enseignant pour les réaliser. De quoi est-il chargé cette enseignant et dans notre cas le maître de conférences ? Il est chargé d’assurer un enseignement sous forme de cours selon le volume horaire prévu à l’article 6 ci-dessus ; d’assurer l’élaboration de polycopiés, de manuels et de tout autre support pédagogique ; d’assurer le bon déroulement des examens dont il a la charge ; de participer aux travaux de son équipe et/ou de son comité pédagogique ; de participer aux activités de conception et d’expertise pédagogiques en matière d’élaboration de programme d’enseignement, de mise en place de nouvelles formations et d’évaluation de programmes et de cursus ; d’assurer l’encadrement des maîtres assistants dans la préparation et la mise à jour des travaux dirigés et des travaux pratiques ; d’assurer l’encadrement de la formation pédagogique des enseignants stagiaires ; d’assurer l’encadrement des activités de formation externe des étudiants ; de recevoir les étudiants trois heures par semaine pour les conseiller et les orienter. « D’un point de vue théorique, cette assignation des tâches paraît impeccable, imparable. Mais d’un point de vue pratique, elle relève d’une tâche impossible. D’abord, la plupart de ces enseignants ne disposent guère, comme leurs pairs iraniens, turcs, tunisiens, pour ne pas parler de leurs homologues allemands et français, d’espace de travail et d’équipements scientifiques adéquats (bureaux, téléphone, ordinateurs, internet, etc.) pour accueillir durant trois heures par semaine leurs étudiants ; ensuite, il est rare en effet de trouver à l’heure actuelle, dans les différentes universités du pays, des maîtres de conférences et de professeurs à la tête de véritables équipe de recherche, de comité pédagogique ou de chargés de formation et d’évaluation de programmes de cursus. Le LMD : 3 ans pour la licence, 2 pour le mastère et 3 pour le doctorat. (Algérie) L’accueil des étudiants (trois heures par semaine). Le corps des maîtres assistants. Art. 32 : le corps des maîtres assistants comporte deux grades :
- maître assistant classe B ;
- maître assistant classe A. Le maître assistant B et A sont tenus chacun, en sus des tâches précédemment citées, de « recevoir les étudiants trois heures par semaine pour les conseiller et les orienter ». (art. 33). Le corps des maîtres de conférences Il comporte également deux grades : classe B et A. Art. 41 : maître de conférences classe B Outre les tâches précitées, le maître de conférences classe B doit « préparer » et actualiser ses cours ; assurer l’élaboration de polycopiés, de manuels et de tout support pédagogique ; assurer l’encadrement des activités de formation externe des étudiants ; recevoir les étudiants trois heures par semaine pour les conseiller et les orienter. Article 44 : maître de conférences classe A, celui-ci est chargé d’assurer un enseignement sous forme de cours selon le volume horaire prévu à l’article 6 ci-dessus ; d’assurer l’élaboration de polycopiés, de manuels et de tout autre support pédagogique ; d’assurer le bon déroulement des examens dont il a la charge ; de participer aux travaux de son équipe et/ou de son comité pédagogiques ; de participer aux activités de conception et d’expertise pédagogiques en matière d’élaboration de programme d’enseignement, de mise en place de nouvelles formations et d’évaluation de programmes et de cursus ; d’assurer l’encadrement des maîtres assistants dans la préparation et la mise à jour des travaux dirigés et des travaux pratiques ; d’assurer l’encadrement de la formation pédagogique des enseignants stagiaires ; d’assurer l’encadrement des activités de formation externe des étudiants ; de recevoir les étudiants trois heures par semaine pour les conseiller et les orienter. (JORA, 3 mai 2008).

Le plagiat

Là où le décret doit être cependant salué, c’est à propos du plagiat. En cette matière, les rédacteurs innovent par l’introduction dans le texte des notions de faute et de sanction. En son chapitre 8, article 24, le décret stipule expressément qu’il « … est considéré comme faute professionnelle de quatrième degré le fait pour les enseignants chercheurs d’être auteurs ou complices de tout acte établi de plagiat, de falsification de résultats ou de fraude dans les travaux scientifiques revendiqués dans les thèses de doctorat ou dans le cadre de toutes autres publications scientifiques ou pédagogiques ». En effet, le plagiat a été longtemps l’une des spécialités néfastes de beaucoup de nos étudiants et chercheurs qui n’avaient aucun scrupule à copier les autres, à « pomper » leurs pairs. Les nombreux mémoires de magistères, de thèses de doctorats de troisième cycle et d’Etat que nous avons pu lire ici et là témoignent en effet d’un honteux « pillage » d’œuvres célèbres. Outre ce plagiat « sauvage » et ce remplissage désordonné, il y a ces « méthodologies » confuses employées dans les mémoires et qui prétendent encadrer des problématiques scientifiques. Il était temps, enfin, de mettre en sourdine ce pillage inadmissible et partant préjudiciable à la qualité de l’enseignement et de la recherche. Mais si dissuasif qu’il puisse être, cet article sur le plagiat pourrait facilement ne pas être respecté tant l’encadrement de qualité et les mécanismes de contrôle efficaces demeurent cruellement faibles. Si certains plagiats sont facilement détectables, parce que trop voyants ou trop « grossiers », d’autres sont en revanche plus « subtiles », car éparpillés dans le mémoire tandis que les références et les sources réelles sont escamotées ou attribuées à des auteurs autres que ceux consultés, ce qui est une manière astucieuse de donner le change. Décret exécutif n°2003-279 du 23 août 2003 fixant les missions et les règles particulières de l’organisation et de fonctionnement de l’université. Du chef de département article 56 : le chef de département est responsable du fonctionnement logique et administratif du département et il exerce l’autorité hiérarchique sur le personnel placé sous sa responsabilité. Il est assisté de chefs de département adjoints, de chefs de service et, le cas échéant, de chefs de laboratoire. Le chef de département est nommé, pour une période de trois ans, parmi les enseignants permanents justifiant du grade le plus élevé par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur sur proposition du doyen et après avis du recteur. DEUG : diplôme d’études universitaires générales En France, diplôme national qui sanctionne le premier cycle des études universitaires longues et qui se prépare en deux ans. Licence : diplôme universitaire sanctionnant la première année d’études du second cycle. Maîtrise : grade universitaire sanctionnant le second cycle de l’enseignement supérieur. DEA : diplôme du troisième cycle de l’enseignement supérieur, sanctionnant une année d’initiation à la recherche. Les critères de cette évaluation doivent tenir compte, outre de la nécessaire qualité des formations et de la réalité de leur adossement à la recherche, de la cohérence générale du projet, de l’établissement dans le cadre de son approche de la politique de site, de l’avenir des diplômés, des relations avec les milieux socio-économiques et de l’ouverture internationale. Ces éléments doivent constituer le noyau central du cahier des charges de l’évaluation des demandes d’habilitation. Ce cahier des charges doit respecter l’autonomie des établissements et en particulier leur capacité d’initiative et d’expérimentation. Ce noyau central peut être complété par d’autres points concernant plus particulièrement certains types de diplômes ou certains champs de formation. Des groupes d’experts peuvent être sollicités pour préciser ces éléments plus spécifiques.

Le rôle des experts

Certes, les diplômes nationaux et les établissements qui les délivrent sont très divers, mais le fait qu’ils soient nationaux justifie d’une certaine homogénéité des procédures et des méthodologies d’évaluation des demandes d’habilitation. A cet égard, la situation actuelle, qui fait relever l’évaluation d’approches différentes certains de ces cursus (licences professionnelles, mastères professionnels dans les écoles d’ingénieurs, formations de commerce et de gestion) paraît devoir évoluer. Les comités de suivi proposent que tous ces diplômes insérés dans le système du LMD soient habilités via un dispositif d’évaluation tenant compte des éléments communs indiqués dans le cahier des charges, indiqué plus haut. Ce dispositif d’évaluation peut s’inspirer de certaines des expériences positives de ces « commissions nationales d’évaluation spécialisées » . Ainsi, il paraît utile de veiller à la place des professionnels dans les groupes d’experts chargés de l’évaluation des projets ou encore de savoir évaluer des demandes urgentes avec rapidité. Le détail de la composition de ces groupes d’experts ou de ces commissions (place des professionnels, des universitaires étrangers, de représentants de divers ministères…) dépendra naturellement des champs et des objectifs de formation. Mais les comités ne sont pas favorables à ce que ces groupes ou commissions soient constitués en regard de la nature institutionnelle des établissements (universités, autres EPSCP, ou autres) ou des ministères exerçant la tutelle sur les établissements. La mise en place du LMD doit faciliter la diffusion des cultures de ces diverses institutions, afin de tirer le meilleur parti de cette diversité et ne doit pas renforcer les découpages institutionnels très spécifiques à notre pays. Une approche commune de l’évaluation s’appuyant sur des critères et une méthodologie connue de tous est l’un des moyens efficaces pour y arriver. De ce point de vue, la présence d’universitaires d’autres pays européens serait généralement utile. Enfin, la composition de ces groupes ou commissions doit être rendue publique. Les décisions d’habilitation, prises par le ministre en charge de l’Enseignement supérieur ou les ministres concernés après avis des instances consultatives, doivent tenir compte des évaluations sur chaque projet, mais aussi de questions plus globales comme l’insertion dans la politique générale de l’établissement, la politique de site, la carte nationale des formations.

Quelques conditions générales de la mise en place du LMD

La possibilité de délivrer les diplômes de licence et de mastère dans plusieurs types d’établissements n’a de sens que si certaines conditions, plus générales que celles évoquées jusqu’à présent, sont satisfaites. Il s’agit tout d’abord de pleinement informer les étudiants, leurs familles et les employeurs sur les diplômes habilités par l’Etat. De ce point de vue, nous rappelons que nous avons déjà suggéré au ministère de l’Education nationale de constituer une base publique de données sur les diplômes nationaux habilités. Cela doit s’accompagner d’une protection effective de ces diplômes, mais aussi des titres et des grades qui leur sont liés. Il est nécessaire que le ministère demande aux établissements qui entretiennent la confusion entre les diplômes qu’ils délivrent et les diplômes nationaux, notamment les mastères, ou qui présentent de façon ambiguë leurs formations, de mettre fin à ces pratiques illégales. En cas de refus, il faudra engager des poursuites devant les tribunaux. Certaines professions ou études préparatoires à des professions font l’objet d’un accès réglementé, dont l’un des éléments importants est une liste de diplômes permettant de postuler à ces professions ou à ces études. Il est nécessaire de réviser cette réglementation pour y intégrer les nouveaux diplômes du LMD, et en particulier les diplômes de mastère. Cela nécessite des discussions approfondies, diplôme par diplôme et profession par profession, dans le cadre des directives régissant la liberté de circulation et d’installation professionnelle dans l’Union européenne. Ces chantiers, qui ont souvent une certaine ampleur, doivent impliquer les professions, mais aussi les filières de formation. Enfin, les établissements qui participent au service public de l’enseignement supérieur, ne doivent pas se retrouver opposés dans une concurrence biaisée par des conditions d’exercice radicalement différentes. Dans l’intérêt des étudiants et pour favoriser la qualité de leurs formations, où qu’elles se déroulent, les comités sont en faveur d’une émulation libre, sous la réserve importante qu’elle ne soit pas faussée. L’Etat doit veiller à ce que chacun de ces établissements puisse avoir les meilleures chances de faire valoir ses compétences, dans le cadre de ses objectifs, tels qu’ils sont reconnus dans les contrats d’établissement.

L’auteur est : Chercheur universitaire



Par Ahmed Rouadjia  El watan (edition Aout 2008)


18/08/2008
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